ORDONNANCE DU PRÉSIDENT
DE LA TROISIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

30 janvier 2008 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige – Demande de confidentialité »

Dans l’affaire T‑444/04,

France Télécom SA, établie à Paris (France), représentée par Mes A. Gosset-Grainville et S. Hautbourg, avocats,

partie requérante,

 

Contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Giolito et J. L. Buendía Sierra, en qualité d’agents,

 

partie défenderesse,

Ayant pour objet l’annulation de la décision 2006/621/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2006, L 257, p. 11),

 

 

LE PRÉSIDENT DE LA TROISIÈME CHAMBRE
DU
TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Rend la présente

 

Ordonnance

 Faits et procédure

1        Par la décision 2006/621/CE, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2006, L 257, p. 11, ci-après la « décision attaquée »), la Commission a décidé, d’une part, que « [l]’avance d’actionnaire octroyée par la [République française] à France Télécom en décembre 2002 sous la forme d’une ligne de crédit de 9 milliards d’euros[,] placée dans le contexte des déclarations formulées depuis juillet 2002[,] constitu[ait] une aide d’État incompatible avec le marché commun » (article 1er) et, d’autre part, que cette aide « ne d[evait] pas faire l’objet d’une récupération » (article 2).

2        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 novembre 2004, France Télécom a introduit un recours, enregistré sous la référence T‑444/04, visant à l’annulation de la décision attaquée.

3        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 2004, Bouygues SA et Bouygues Télécom SA (ci-après, prises ensemble, « Bouygues »), deux sociétés de droit français établies respectivement à Paris et à Boulogne-Billancourt (France), ont également introduit un recours, enregistré sous la référence T‑450/04, visant à l’annulation de la décision attaquée.

4        En vertu de l’article 24, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, le résumé de la requête introductive d’instance dans l’affaire T‑444/04 a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 5 février 2005 (JO C 31, p. 26).

5        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 octobre 2007, Bouygues a demandé à intervenir dans l’affaire T‑444/04 au soutien des conclusions de la Commission.

6        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 novembre 2007, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas d’objections à ce que Bouygues soit admise en tant qu’intervenante au soutien de ses conclusions. Elle a toutefois précisé réserver sa position quant à la cohérence des arguments avancés par Bouygues dans le cadre de cette intervention par rapport à ceux qui ont été développés dans l’affaire T‑450/04.

7        Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 21 novembre 2007, France Télécom a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal déclarer cette demande d’intervention irrecevable et condamner Bouygues aux dépens et, à titre subsidiaire, lui refuser l’accès aux actes de procédure signifiés aux parties.

8        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 décembre 2007, France Télécom a demandé le traitement confidentiel vis-à-vis de Bouygues de certains éléments contenus dans la requête et dans la réplique.

 Arguments des parties

9        Dans sa demande d’intervention, Bouygues affirme vouloir soutenir les conclusions de la Commission en ce que, premièrement, celle-ci a considéré, dans la décision attaquée, que l’avance d’actionnaire en cause constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun, deuxièmement, la Commission n’a pas commis de violation des formes substantielles et des droits de la défense, troisièmement, elle n’a pas méconnu la notion d’aide d’État en qualifiant l’avance d’actionnaire en cause d’aide et, quatrièmement, elle n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que la déclaration du ministre de l’Économie du 12 juillet 2002 impliquait un engagement de la République française ayant un impact sur les marchés en décembre 2002.

10      S’agissant de son intérêt à la solution du litige, Bouygues fait valoir que Bouygues Télécom est le troisième opérateur sur le marché français de la téléphonie mobile et est, dès lors, en concurrence directe avec la société Orange, filiale de France Télécom. Il en résulterait que les aides accordées à France Télécom affectent substantiellement la position concurrentielle de Bouygues sur ce marché. Elle ajoute que son intérêt à la solution du litige n’est pas remis en cause par son recours dans l’affaire T‑450/04. Dans le cadre de ce recours, elle n’aurait pas contesté le fait que l’avance d’actionnaire en cause constituait une aide, mais seulement la conclusion de la Commission selon laquelle les déclarations de soutien ayant précédé cette avance ne seraient pas, elles non plus, des aides d’État. En outre, le Tribunal pourrait prononcer une annulation partielle de l’article 1er de la décision attaquée, c’est-à-dire à l’exception du constat selon lequel l’avance d’actionnaire en cause constitue une aide d’État (arrêt de la Cour du 5 octobre 1994, Italie/Commission, C‑47/91, Rec. p. I‑4635, et arrêt du Tribunal du 15 septembre 2005, DaimlerChrysler/Commission, T‑325/01, Rec. p. II‑3319).

11      France Télécom fait valoir, tout d’abord, que la demande d’intervention est tardive, puisqu’elle a été déposée après l’expiration du délai prévu à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par conséquent, Bouygues ne saurait prétendre avoir accès aux actes de procédure signifiés aux parties en cours d’instance, et ne pourrait prendre connaissance, en vertu de l’article 116, paragraphe 6, dudit règlement, que du rapport d’audience et présenter, sur cette base, des observations lors de la procédure orale. En tout état de cause, Bouygues ne saurait se voir accorder un accès aux éléments confidentiels contenus dans les actes de procédure.

12      France Télécom fait valoir, ensuite, que la position que Bouygues entend soutenir dans le cadre de son intervention est en contradiction avec celle défendue par la Commission. En particulier, la thèse selon laquelle l’avance d’actionnaire en cause constitue une aide d’État contredirait les conclusions de la Commission tant dans la décision attaquée (considérant 263) que dans ses mémoires. À cet égard, France Télécom souligne que, d’après ces conclusions, l’avance d’actionnaire en cause n’est pas, à elle seule, une aide d’État, mais qu’elle en est uniquement une dans la mesure où elle est placée dans le contexte des déclarations formulées depuis juillet 2002. Aussi, contrairement aux exigences posées par l’article 116, paragraphe 4, du règlement de procédure, la position de Bouygues modifierait le cadre du présent litige (arrêts de la Cour du 17 mars 1993, Commission/Conseil, C‑155/91, Rec. p. I‑939, et du 19 mars 2002, Commission/Irlande, C‑13/00, Rec. p. I‑2943 ; arrêt du Tribunal du 10 mai 2001, Kaufring e.a./Commission, T‑186/97, T‑187/97, T‑190/97 à T‑192/97, T‑210/97, T‑211/97, T‑216/97 à T‑218/97, T‑279/97, T‑280/97, T‑293/97 et T‑147/99, Rec. p. II‑1337). La demande d’intervention de Bouygues devrait dès lors être déclarée irrecevable.

13      À titre subsidiaire, France Télécom considère que, si la demande d’intervention de Bouygues devait néanmoins être accueillie par le Tribunal, les moyens et arguments exposés par Bouygues lors de la procédure orale ne seraient recevables que pour autant qu’ils n’élargissent pas le cadre du présent litige et qu’ils viennent au soutien des conclusions de la Commission (arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, Rec. p. II‑2123).

 Appréciation du président

14      En premier lieu, il convient de rappeler que, afin de justifier de son intérêt à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour, lu en combinaison avec l’article 115, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, Bouygues a avancé que, compte tenu du fait que Bouygues Télécom était un concurrent direct de la filiale Orange de France Télécom, les aides accordées à France Télécom affectaient substantiellement sa position concurrentielle sur le marché français de la téléphonie mobile. Or, ni la Commission ni France Télécom n’ont contesté cet intérêt de Bouygues à la solution du présent litige. Au contraire, la Commission a précisé que cet intérêt découlait également du fait que Bouygues avait déposé une plainte et participé, en tant que partie intéressée, à la procédure administrative aboutissant à l’adoption de la décision attaquée.

15      Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que Bouygues a justifié d’un intérêt à la solution du litige au titre des dispositions précitées et que sa demande d’intervention doit être admise.

16      En deuxième lieu, il convient de constater, s’agissant de l’argument de France Télécom selon lequel la demande d’intervention de Bouygues est tardive, que cette demande est en effet intervenue après l’expiration du délai de six semaines prévu à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure et à un moment où la procédure écrite était déjà terminée.

17      Par conséquent, en application de l’article 116, paragraphes 2, 3 et 6, dudit règlement, d’une part, Bouygues doit accepter le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention et, d’autre part, elle ne peut être admise à intervenir que pour présenter ses observations lors de la procédure orale et se voir communiquer le rapport d’audience, le cas échéant, purgé des éléments confidentiels. Il y a lieu d’ajouter que, en tout état de cause, dans sa demande d’intervention, Bouygues n’a pas demandé que lui soient communiqués les actes de procédure dans le cadre du présent litige.

18      En troisième lieu, s’agissant de l’argument de France Télécom selon lequel l’intervention de Bouygues, telle qu’elle est envisagée dans sa demande d’intervention, modifie le cadre du présent litige, il suffit de constater que, ainsi que le reconnaît France Télécom elle-même implicitement, cet argument ne concerne que la thèse selon laquelle l’avance d’actionnaire en cause constitue, à elle seule, une aide d’État et non les moyens et arguments que Bouygues entend avancer à l’égard des moyens de France Télécom tirés de la violation des formes substantielles et des droits de la défense ainsi que de l’erreur manifeste d’appréciation (voir point 9 ci-dessus). Dans ces circonstances, l’éventuelle contradiction de cette thèse avec les conclusions de la Commission ne saurait affecter la recevabilité de la demande d’intervention de Bouygues en tant que telle.

19      Il convient toutefois de préciser que l’admission de cette demande d’intervention ne préjuge pas du pouvoir du Tribunal de déclarer irrecevables des moyens et arguments de Bouygues qui, contrairement aux exigences de l’article 40, quatrième alinéa, du statut de la Cour et de l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, s’avèrent modifier le cadre du litige au sens de la jurisprudence (voir arrêt du Tribunal du 13 avril 2005, Verein für Konsumenteninformation/Commission, T‑2/03, Rec. p. II‑1121, point 52, et la jurisprudence qui y est citée).

20      Dès lors, il y a lieu de réserver la décision sur la recevabilité des moyens et arguments que Bouygues entend avancer lors de la procédure orale.

21      En quatrième lieu, enfin, il convient de réserver la décision sur le bien-fondé de la demande de traitement confidentiel introduite par France Télécom, étant donné que cette demande est susceptible d’avoir une incidence sur le contenu du rapport d’audience devant être communiqué à Bouygues. Dès lors, France Télécom doit d’abord avoir l’occasion d’identifier les éventuels éléments confidentiels contenus dans ledit rapport et Bouygues doit ensuite avoir l’occasion de présenter ses observations à cet égard.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA TROISIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne:

 

1)      Bouygues SA et Bouygues Télécom SA sont admises à intervenir dans l’affaire T‑444/04 au soutien des conclusions de la Commission.

2)      Le greffier communiquera à France Télécom SA le rapport d’audience afin que celle-ci puisse identifier les éléments qu’elle considère comme étant confidentiels.

3)      Le greffier communiquera aux parties intervenantes une version provisoire non confidentielle du rapport d’audience et leur fixera un délai pour présenter leurs observations éventuelles sur la demande de traitement confidentiel de France Télécom. La décision sur le bien-fondé de cette demande est réservée.

4)      Le greffier invitera les parties intervenantes à l’audience.

5)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 janvier 2008.

 

Le greffier

 

       Le président

 

E. Coulon

 

       J. Azizi